« L’unique femme en Italie qui ait jamais su ce que voulait dire peinture, couleur, mélange, et autres notions essentielles… ». « L’unica donna in Italia che abbia mai saputo che cosa sia pittura, e colore, e impasto, e simili essenzialità…». (selon l’historien et critique d’art italien Roberto Longhi, au début du XXe siècle)
Artemisia Gentileschi est la fille d’Orazio Lomi, dit Gentileschi, peintre d’origine toscane dont la production est principalement influencée par un mélange entre la peinture florentine, telle que celle d’Agnolo Bronzino, et le travail du clair-obscur opéré chez Caravage.
Voici quelques peintures d’Orazio :
Artemisia naît à Rome en 1593. Elle se forme d’abord dans l’atelier de son père, auprès duquel elle assimile et adopte des « procédés dramatiques » et la « manière théâtrale » du Caravage.
Son premier tableau signé et daté (1610) serait Suzanne et les vieillards (collection Schönborn, Pommersfelden). Ce thème est issu de la Bible, plus précisément de l’Ancien Testament et du Livre de Daniel. Dans cet épisode, également appelé « Suzanne au bain », une jeune femme mariée refuse les avances de deux vieillards. Devant son refus, les deux hommes l’accusent d’adultère afin de la voir condamnée à mort. C’est à ce moment qu’intervient le jeune prophète Daniel qui prouve l’innocence de Suzanne et fait condamner les deux vieillards, menteurs et pervers.
Artemisia poursuit son parcours auprès d’Agostino Tassi, renommé pour ses peintures de paysage et ses compositions architecturales feintes mêlant perspective et trompe-l’œil. Tassi, qui avait déjà été condamné pour le meurtre de sa femme, est accusé de viol par Artemisia. A l’issue d’un procès dont les actes sont conservés, il est finalement condamné à l’exil par les Etats pontificaux, mais Artemisia subit de nombreux interrogatoires, des humiliations publiques au procès et est même soumise à la torture. Quelques mois après le procès, son père la marie avec un peintre florentin peu connu, Pietro Antonio Stiattesi. Les deux époux s’installent alors à Florence. Quelque temps avant de partir, elle réalise une première version de Judith et Holopherne.
Le thème de Judith est lui aussi un sujet issu de la Bible. En assassinant Holopherne, chef de l’armée assyrienne de Nabuchodonosor, Judith veut libérer la ville de Béthulie et son peuple, le peuple juif, de l’emprise ennemie. Accompagnée par sa servante, elle pénètre dans le camp et séduit Holopherne : après avoir dîné et bu en sa compagnie, elle profite qu’il est ivre, « effondré sur son lit, noyé dans le vin » et le décapite.
Tandis que Caravage choisit de faire de la servante une simple spectatrice du meurtre d’Holopherne (2e tableau), chez Artemisia, la servante a un rôle actif et aide l’héroïne de la Bible à accomplir son geste fatal (1er tableau). Artemisia revisitera le thème à plusieurs reprises, notamment dans le 3ème tableau, où elle figure Judith et la servante après le meurtre, celle-ci tenant un panier avec la tête d’Holopherne.
Une fois arrivée à Florence, elle bénéficie de la protection du grand-duc Cosme II de Médicis et de son épouse, Marie-Madeleine de Habsbourg. Elle y a un grand succès : elle intègre notamment l’Accademia del disegno, fondée par Cosme Ier et Giorgio Vasari au milieu du XVIe siècle, et participe à la décoration de la Casa Buonarroti. L’Allégorie de l’Inclination (ou du talent naturel, de la prédisposition à l’art), représentant une jeune femme dénudée tenant dans ses mains un compas, fait partie d’un ensemble décoratif peint au plafond de la Galleria autour du thème des vertus de l’artiste. Ce tableau fut un des premiers commandés et Artemisia reçut dès 1615 un premier versement. A l’origine, l’allégorie était nue mais c’est le peintre Il Volterrano qui lui rajoute des vêtements à la fin du XVIIe siècle.
De 1625 à 1626, Artemisia retourne séjourner à Rome mais n’obtient aucune commande importante de cycles de fresques. C’est durant cette période qu’elle croise le peintre français Simon Vouet, qui réalise son portrait.
Elle quitte Rome pour Venise puis part s’installer à Naples où elle restera jusqu’à la fin de sa vie et dont elle ne s’absentera que lors d’un voyage à Londres entre 1638 et 1641. Elle reçoit désormais des commandes très variées : des portraits, des représentations d’héroïnes bibliques (Judith, Suzanne, Bethsabée, Esther ou Marie-Madeleine) ou de saintes (sainte Cécile ou sainte Catherine d’Alexandrie), ou des tableaux religieux sur les thèmes de l’Adoration des Mages ou de l’Annonciation.
A Londres, elle a rejoint son père, Orazio, qui y travaillait lui-même depuis 1626. C’est là qu’elle peint pour le roi Charles Ier d’Angleterre cette Allégorie de la peinture (encore conservée dans les collections royales au château de Windsor), qui est en fait aussi un autoportrait.
Dans cette oeuvre, Artemisia se réfère à l’Iconologia de Cesare Ripa, ouvrage qui servait de référence aux artistes pour représenter des allégories : la Peinture y est décrite comme une « belle femme, aux longs cheveux noirs, échevelée, concentrée sur son travail (…) une chaîne d’or pendant autour du cou, avec un masque en pendentif ». Artemisia a donc capturé les éléments essentiels de cette description, laissant seulement de côté le phylactère sur lequel est écrit « imitation » et le bâillon sur la bouche.
Nous connaissons peu d’autoportraits d’Artemisia, on peut toutefois citer l’Autoportrait en joueuse de luth.
De retour à Naples, elle y restera définitivement sans que l’on sache la date exacte de son décès, le dernier document la mentionnant étant de 1654.
A la charnière du XVIe et du XVIIe siècle, à une époque où les femmes peintres sont si rares, Artemisia Gentileschi a démontré un talent magistral, reconnu de ses contemporains et des commanditaires, y compris à l’étranger.
Pour aller plus loin :
BD Artemisia par Nathalie Ferlut et Tamia Baudoin, Editions Delcourt (2017)
Artemisia, roman-biographie par Alexandra Lapierre, Robert Laffont (1999)
Et je vous retrouve demain pour la revue de presse culturelle de la semaine sur Twitch à partir de 18h !
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