Cette semaine, je vous emmène dans le jeu vidéo Blasphemous, développé par le studio espagnol The Game Kitchen (à l’origine d’un jeu point-and-click d’horreur The Last Door). Le jeu est sorti sur console et PC, et bénéficie d’un DLC gratuit “The Stir of Dawn”.
Blasphemous est un jeu dit “Metroidvania”, mot créé à partir des noms de deux séries de jeu : les Metroid et les Castlevania, mêlant plateformes et action-aventure. La particularité de ce type réside dans leur exploration complexe : le joueur accède à certaines zones uniquement grâce à des objets ou des compétences à débloquer durant le jeu, ce qui l’oblige parfois à revenir sur ses pas. Visuellement, Blasphemous peut être considéré comme du “néo-retro”, proche des jeux développés dans les années 90, tout en pixel art.
L’intrigue
Une malédiction s’est abattue sur la terre de Custodia et ses habitants, un univers empreint de religion et de superstition. Tout fait référence au christianisme et au folklore de l’Espagne andalouse.
Le joueur incarne le Pénitent, dernier survivant du massacre de la Confrérie du chagrin silencieux. Il arpente ce monde en proie à la corruption et il doit remonter jusqu’à l’origine du péché, le “Berceau de l’Affiction”, situé au cœur de la Mère des Mères des Eglises. Armé de l’épée la Mea Culpa, il est chargé de conjurer la malédiction de Custodia.
Avec la cinématique d’ouverture, le joueur est immédiatement plongé dans un univers glauque et oppressant : un véritable chemin de croix, uniquement rythmé de lieux hostiles et d’ennemis horrifiques.
Le gameplay
C’est un jeu très punitif, parfois comparé à des titres comme Dark Souls, aux rares points de sauvegarde (les prie-dieu), où le joueur est immédiatement renvoyé à chaque mort. Les prie-dieu servent également à remplir la jauge de santé du personnage et les flasques de vie qu’il transporte avec lui.
Au fur et à mesure de sa progression, le joueur récupère des larmes d’expiation qui lui permettent d’acheter des objets chez un marchand, d’améliorer son épée ou de débloquer des attaques spéciales. En plus de son épée, la Mea Culpa, le Pénintent porte un rosaire, dont les perles peuvent servir à modifier le gameplay.
La richesse du jeu repose sur les nombreuses influences artistiques que l’on retrouve dans l’esthétique : ennemis, décors,... L’histoire de l’art est omniprésente.
L’esthétique du jeu
Le jeu puise ses sources dans l’art religieux et plus précisément dans l’iconographie baroque sévillane, aux images pathétiques liées au sang et à la souffrance. Le directeur artistique du jeu, Enrique Cabeza, n’a jamais caché de quoi il s’était inspiré.
La peinture
Cabeza a trouvé chez Goya, par exemple, des références à une série de peintures réalisées entre 1812 et 1819, dont la Procession de Flagellants et le Tribunal de l’Inquisition : les coiffes en pointe y évoquent celle du protagoniste du jeu, le Pétinent. L’une des figures volantes auxquelles ce dernier est confronté rappelle un autre tableau de Goya, Le Vol des sorcières, daté vers 1797. Les personnages y portent une caroche (ou coroza), emblème de la violence de l’Inquisition espagnole, mais aussi évocation des mitres d’évêques.
Coroza (couvre-chef en pointe) et sambenito (tunique d’infamie portant les délits des accusés) sont deux attributs revêtus par les pénitents sur ordre de l’Eglise pour demander le pardon de leur faute publiquement. La même coroza est portée lors de la Semaine Sainte pour les processions.
Chez Velazquez, c’est le Portrait du pape Innocent X qui suggère certaines images, parfois revues au prisme de Francis Bacon.
Quant à Zurbaran, Cabeza lui emprunte sa représentation de la Femme à barbe et celles des moines pénitents.
La sculpture
Je me limiterai ici, mais ce sont des exemples très suggestifs, à un rapprochement avec la Sainte Thérèse en extase du Bernin et la Vierge de douleur de Lujan Perez.
L’architecture
A Séville, la plus grande église de la ville après la Cathédrale est l’église du Divin Sauveur : l’écho dans le jeu est flagrant. Même la Mosquée-Cathédrale de Cordoue est superbement intégrée.
Toutefois l’esthétique du jeu ne se limite pas à des renvois célèbres à l’art espagnol. Disséminées ici et là dans l’histoire, on reconnaît des allusions à l’art italien, français ou européen mais transformées par une vision cauchemardesque.
Ainsi :
Blasphemous confronte les joueurs à une vision torturée de l’Eglise catholique au temps de l’Inquisition en Espagne (dès 1478). Il faut savoir que les peintures et les sculptures de cette époque répondaient à des codes vérifiés par des inspecteurs, artistes eux-mêmes mais souvent de médiocre talent. Lorsque le Concile de Trente (1545 - 1563) aura été tenu, les artistes pourront s’exprimer dans l’exaltation d’une nouvelle ferveur, mais l’esthétique de ce jeu détourne encore ces nouvelles voies…
Mes réseaux :