Des assassins, Vénus et l'Italie
Aujourd’hui, départ pour l’Italie, Florence et la Renaissance.
Petite incursion dans la galerie de peinture d’Ezio Auditore da Firenze. Il s’agit du protagoniste du jeu vidéo Assassin’s Creed dont le deuxième opus se passe en Italie à la Renaissance.
Notre héros fictif, Ezio, naît à Florence en 1459 et est issu d’une famille noble, les Auditore. Jusqu’à l’âge adulte, il ignore tout du passé d’assassin de sa lignée et de son père. Mais suite à l’exécution à la fois de son père et de ses deux frères, il fuit Florence pour la petite ville de Monteriggioni où réside son oncle. Ce dernier lui apprend alors le passé de la famille Auditore qui appartient à l’ordre ancien des Assassins et combat l’ordre des Templiers. Ce sont ces derniers, menés par le Grand Maître Rodrigo Borgia qui sont à l’origine des exécutions.
Suite à ces révélations, Ezio parcourt l’Italie pour venger la mort de ses proches : il s’allie avec Laurent le Magnifique, de la famille des Médicis, il côtoie Léonard de Vinci qui lui apporte de l’aide pour déchiffrer un vieux Codex.
Sa mission se poursuit entre Florence, Venise puis le Vatican où Rodrigo Borgia vient d’être nommé Pape sous le nom d’Alexandre VI.
Dans le jeu vidéo, ce tableau aurait été acheté par le héros, Ezio Auditore chez un marchand d’art* pour ensuite être exposé dans sa galerie personnelle à la Villa Auditore (*en terme de jeu : les achats chez les marchands d’art débloquent des succès pour le joueur).
Après le siège de la ville et donc du domaine des Auditore, le tableau aurait été récupéré par les Borgia.
Le jeu permet au joueur d’acheter des tableaux dans différentes villes italiennes : Florence, Monteriggioni, San Gimignano, Forli, Venise et Rome.
Notre héros collectionne les œuvres d’art et c’est à cette occasion que l’on peut retrouver dans le jeu ce tableau de la Naissance de Vénus, peint par Sandro Botticelli.
Qui est Botticelli ?
Sandro (diminutif d’Alessandro) naît à Florence en 1445. Il se forme à la peinture avec Fra Filippo Lippi et à la mort de son maître, en 1469, il continue d’être proche de sa famille.
Pour l’anecdote, les enfants de Fra Filippo Lippi, filleuls de Botticelli, sont tous les deux issus d’une association étrange pour l’époque : Fra Fillippo Lippi, à l’époque moine, tombe amoureux de son modèle, une religieuse, Lucrezia Buti, et ils sont relevés de leurs voeux religieux. Ils ont deux enfants, Filippino et Alessandra.
Fra Filippo Lippi comme Botticelli sont tous les deux des protégés de la famille Médicis, grands mécènes et collectionneurs florentins de l’époque.
Durant une grande partie de sa carrière, lorsqu’il travaille pour les Médicis et que ceux-ci sont dans un règne faste, Botticelli réalise des œuvres « païennes » (même si le terme est un peu malheureux), c’est-à-dire issues de la mythologie et de la poésie antiques, avant de complètement changer dans ses dernières créations. A la chute des Médicis, dont le moine Savonarole va profiter pour distiller son discours religieux extrême, Botticelli va participer à ce qui est appelé le « Bûcher des vanités ». C’est un bûcher au sens propre puisque les peintres vont aller jusqu’à détruire par les flammes les tableaux qui ne correspondaient plus aux normes de l’époque : nudité, paganisme,…A cette occasion, de nombreuses œuvres de Botticelli auraient disparu.
Botticcelli en quelques dates :
1445 : naissance à Florence
Réalisation de L’Adoration des mages (1475) : il y représente la famille Médicis
Réalisation du Printemps (1478)
Réalisation de La Naissance de Vénus (1485)
Fresques pour la chapelle Sixtine du Vatican (1481) : ici, à droite, La tentation du Christ
1510 : mort à Florence
Que représente ce tableau ?
Ce tableau représente la Naissance de la déesse Vénus (nom donné dans la mythologie romaine pour l’Aphrodite des Grecs).
Au centre, on a donc Vénus, la déesse de l’Amour et de la Beauté, née de « l’écume de la mer ». Ici elle sort des flots, elle est nue et elle est au centre d’une immense coquille. Elle est entourée par le dieu du vent, Zéphyr, et de sa compagne, et par une jeune femme à droite qui vient pour la draper (peut-être une des Heures, fille de Zeus, ou une des trois Grâces).
Plusieurs théories existent autour du modèle qui a posé pour la figure de Vénus.
Il pourrait s’agir soit de la filleule de Botticelli, fille de Fra Fillippo Lippo, Sandra (ou Alessandra), soit de Simonetta Vespucci, considérée comme la plus belle femme de l’époque. Cette dernière était surnommée la “Belle Simonetta” ou la “Sans Pareille”. Muse de Botticelli dont il a réalisé plusieurs portraits, elle meurt d’une pneumonie à l’âge de 22 ans. Ce tableau aurait été une commande passée par son ancien amant, Julien de Médicis, après sa mort, comme un hommage. Simonetta Vespucci a été modèle pour Botticelli (deux portraits au centre et à droite) mais également pour d’autres peintres importants de l’époque, comme Piero da Cosimo.
Cet hommage posthume à la jeune femme s’expliquerait par le choix de rajouter des arbres de part et d’autre de la composition pour évoquer le cycle de la vie et de la mort et le renouveau.
Parmi les sources d’inspiration du peintre, il y a sûrement des sculptures antiques. Notamment pour la gestuelle - Vénus tente de cacher sa nudité - on pense à la “Vénus pudique” (à gauche, désormais au musée du Capitole à Rome) et à la “Vénus des Médicis” (à droite, au musée des Offices à Florence).
Ce qui est intéressant dans cette œuvre, c’est le choix d’inspirations antiques dans la posture (le « contrapposto ») venues de la culture visuelle du peintre : il avait sûrement sous les yeux la Vénus appartenant à la collection Médicis.
On pourrait également parler du « prétexte » du nu dans la peinture classique. Autant les figures religieuses vont être drapées (sauf le Saint Sébastien qui est plutôt homo-érotique…), autant les figures mythologiques vont être l’occasion pour le peintre de représenter le nu féminin. Ce choix de Vénus se retrouve chez les Espagnols au XVIIe siècle, comme je l’ai évoqué dans un précédent article sur la Vénus de Velazquez, mais également au XIXe siècle chez des peintres français comme La Naissance de Vénus d’Alexandre Cabanel qu’on peut admirer au musée d’Orsay.
Et après ?
Encore plus récemment, on retrouve ce tableau dans le jeu sorti sur Switch en mars dernier : Animal Crossing New Horizons. Pour améliorer son musée, le joueur se voit proposé par Rounard, le renard marchand, la Naissance de Vénus : le joueur, pour ne pas se faire arnaquer, doit choisir la bonne version et non la fausse. Dans la bonne version, il y a un arbre dans la composition, tandis qu’il n’y est pas dans l’autre.
Deux petites précisions :
Il est gênant d’associer parfois culture du viol, nudité injustifiée et ce tableau. De mon point de vue, Botticelli sait rendre beau ce qu’il crée et encore une fois, il a créé pour des commandes, pour des « regardeurs » avec les contraintes posées par ses mécènes. Il est anachronique de faire une lecture « féministe » de ces œuvres.
La notion d’Art inclut à mon sens le jeu vidéo en soi. Le Jeu vidéo est un art, sûrement le 10ème, mais il est à la hauteur des créations artistiques des siècles passées et il est aussi une porte d’entrée pour ceux qui n’ont pas fait des études d’histoire de l’art ou d’histoire vers de belles œuvres.
Si vous avez envie d’en savoir plus : je vous invite à visionner les vidéos d’une grande qualité réalisées par la chaîne Homo Ludens sur les liens entre l’art et le jeu vidéo, notamment celle sur la peinture.