Okami est un jeu vidéo d’action-aventure développé par Clover Studio et édité par Capcom. L’opus original du jeu sort en 2006 sur Playstation 2. Il est ensuite adapté pour la console Wii, la Playstation 3 et 4, la Xbox One, le PC et la Nintendo Switch (en 2018).
Dans Okami, le joueur devient Amaterasu, la déesse du soleil et de la lumière (dans le shintoïsme), qui s’est réincarnée dans le corps d’un loup blanc légendaire, Shiranui. Elle est réveillée par la déesse Sakuya, déesse de la floraison, pour combattre le Mal, représenté par un démon, le dragon à huit têtes, Yamata-no-Orochi. Pour cette mission, Amaterasu est accompagnée par Issun, un artiste errant qui a la forme d’une petite puce.
Sur son dos, la déesse porte une arme divine : d’abord un miroir, puis une épée et un rosaire, armes qu’elle récupère durant l’histoire.
La particularité du jeu réside dans l’utilisation d’un parchemin et d’un pinceau manié selon la technique du “Pinceau céleste”. Le joueur s’en sert pour plusieurs choses.
Pour utiliser le “Pinceau céleste”, le joueur met le jeu en pause et fait apparaître un parchemin sur lequel il peut dessiner. Les occasions sont nombreuses : dans les combats, où il est possible d’aveugler les ennemis et de les vaincre, et tout au long de l’histoire, où les peintures servent à résoudre des énigmes.
Le joueur peut ainsi créer du vent en dessinant une spirale dans le ciel, faire apparaître des bombes en brisant des objets par le dessin ou réparer un pont en en dessinant un nouveau sur celui qui est cassé.
Le “Pinceau” sert également à refleurir le paysage ou à rajouter des animaux avec lesquels l’héroïne, Amaterasu, peut interagir : elle les nourrit et obtient ainsi de leur part des bienfaits qui lui seront utiles pour la suite de l’aventure.
Des techniques de peinture sont apprises durant tout le jeu, notamment en complétant des constellations et en libérant les “divinités du pinceau céleste”, qui sont en fait les signes du zodiaque chinois (le rat, le singe, le porc,…).
On voit bien que le jeu mêle deux influences, toutes deux enracinées dans l’histoire de l’art japonaise.
D’abord, l’archéologie japonaise
Elle se retrouve dans la présence de vases de la période Jomon, celle dont je vous parlais déjà pour le jeu Zelda - Breath of the Wild.
En effet, dans Okami, il est possible de détruire des vases pour récupérer des collectibles, en l’occurrence de l’argent ou des fruits.
Ensuite, la peinture monochrome à l’encre japonaise, connue sous le nom de “Sumi-e” ou “Sumiye”, courant majeur de l’époque de Muromachi (1336 - 1568).
Avec le développement du bouddhisme zen et l’influence des arts chinois au Japon, on voit l’essor d’une peinture liée aux grands temples, directement inspirée de la peinture lettrée chinoise et de la peinture monochrome de l’époque des Song.
Littéralement, le terme “sumi-e” signifie “peinture à l’encre” et désigne le lavis à l’encre noire sur de grands panneaux verticaux ou horizontaux. Il s’agit avant tout de représentations de paysage.
Le style de peinture monochrome instauré à la période de Kamakura sous l’influence des peintures chinoises de l’époque des Song et des Yuan apparaît totalement assimilé par les artistes japonais au cours de l’époque de Muromachi, époque qui est incontestablement celle de l’âge d’or de la peinture à l’encre. L’une des plus importantes adaptations que firent les premiers peintres de paysage à l’encre au Japon fut probablement la transposition des thèmes et des techniques picturales chinoises sur les supports de grande taille que requéraient leurs demeures et qui servaient à la division des pièces. Ce sont des peintures sur paravents et sur des cloisons fixes ou mobiles.
Les premiers sujets à être abordés dans ce format sont des paysages.
Au XV° siècle, le Shokokuji (un des grands temples zen de Kyoto) devient une véritable pépinière d’artistes, si bien que l’on peut véritablement parler d’école du Shokokuji.
A l’époque de Muromachi, plusieurs peintres se sont illustrés : les moines Josetsu, Sesshu Toyo et Tensho Shubun (dont le nom d’artiste est Ekkei).
Josetsu
On connaît peu de choses de la vie de Josetsu qui n’utilise ce pseudonyme qu’à partir de 1408 et semble avoir eu une charge de peintre semi-professionnel dans un monastère. Il est considéré comme le « véritable ancêtre de la peinture à l’encre »
Vers 1413, le shogun Yoshimochi lui passe commande d’œuvres et c’est probablement entre cette date et 1415 qu’il exécute son chef-d’œuvre : Attraper un poisson-chat avec une calebasse.
Bien que le sujet essentiel de la peinture soit le personnage essayant de capturer, à l’aide d’une trop petite calebasse, un poisson-chat nageant dans un cours d’eau, Josetsu, utilisant une nouvelle touche impressionniste et des couleurs diluées, ne sacrifie pas à la mode picturale contemporaine et y intègre des éléments paysagers.
La connaissance de la peinture de l’époque des Song est visible dans le lavis servant à dessiner la silhouette des montagnes en fond, la symétrie et le découpage de la composition et l’usage du vide comme élément unificateur et séparateur.
Tenshō Shūbun (v. 1414 – 1463)
C’est un moine occupant des fonctions dans un des nombreux bureaux administratifs du Shokokuji, il est actif pendant la première moitié du XV° siècle. Il est l’élève de Josetsu.
Il est difficile de considérer l’ampleur de son œuvre, aucune des peintures de sa facture ne pouvant lui être attribuée avec certitude. Il voyagea en Corée en 1423 et 1424 et participa à son retour à la reconstruction du Shokokuji.
Les textes anciens le décrivent comme un sculpteur et un peintre en différents genres.
Son style est fondé sur l’emploi conjoint d’éléments de la peinture des Song, pics et montagnes aux contours découpés noyés de brume et premiers plans aux rochers.
Grâce à lui, la peinture monochrome zen prend définitivement une forme plus séculière, assimilant les styles des peintres chinois dont il peut admirer des exemples dans les collections des shogun, en y insufflant son propre génie.
Il travailla en plus étroite collaboration avec le shogunat et reçut même une allocation régulière.
Les artistes appliquèrent les principes de Shubun jusqu’à la fin de l’époque de Muromachi.
Cette peinture témoigne de l’intérêt grandissant du peintre pour la nature au détriment de l’homme, lequel est à peine visible.
Son style est proche des peintres chinois des Song. Cela s’explique par le fait qu’il a eu accès aux collections de peinture chinoise du shogun Ashikaga.
La véritable rupture est incarnée par un élève de Shubun.
Sesshu Toyo (1420 – 1506 ?)
En 1467, il fait un voyage en Chine durant lequel il réalise des copies d’œuvres et il étudie la technique de l’encre « éclaboussée », c’est-à-dire des peintures réalisées uniquement avec le lavis et la disparition totale du trait de contour.
Sur cette peinture est représentée une architecture au pied d’une falaise, dont la matière de la roche est évoquée par des traits en « coup de hache » (aussi visible au premier plan).
Le paysage rendu avec une atmosphère plus palpable est une référence à la période des Song : les traits en « coup de hache », le fort encrage du premier plan pour les arbres et les branches.
Dans cette œuvre, l’artiste se dégage définitivement de la contrainte de ses contemporains et du milieu zen : le paysage est uniquement représenté pour lui-même. L’emploi ici de la « technique de l’encre éclaboussée » (ou “haboku”) permet de jouer avec différentes tonalités d’encre qui, superposées, créent un paysage montagneux au pied duquel se trouve un village.
Cette influence de la peinture monochrome dans Okami se retrouve aussi bien dans le gameplay avec la technique du “Pinceau céleste” que dans les graphismes. Le jeu semble tout entier prendre place au sein d’une peinture sur parchemin.
En conclusion, je dirai qu’Okami est une façon très agréable d’appréhender la richesse de la peinture japonaise en plus de tout ce qui touche à la mythologie et au shintoïsme.
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